jeudi 19 mars 2009

Frères d'armes

Ils l'appelaient la der. des der. , la Grande Guerre. Ils en parlaient peu gardant au plus profond d'eux même le souvenir de l'immense boucherie dont ils furent les témoins; les acteurs ; les miraculés... mais tous les victimes.

Neuf millions de morts, huit millions d'invalides. Une génération complète de jeunes hommes sacrifiée.

Pour ceux qui allaient devoir réapprendre à vivre, oublier l'odeur du sang, les cris, les pleurs se sont noués des liens d'amitié que soixante années d'éloignement n'ont pas entamé.

Au décès de mon "poilu" de grand-père, Pierre Laffite dans sa 93ème année en 1978, son camarade de tranchées Claude Mignaval de 10 ans son cadet a adressé à ma mère la lettre que je recopie ci-dessous dans son intégralité.


""""Chère madame,

Je vous remercie de m'avoir fait l'amitié de penser que vous me feriez plaisir en m'envoyant la coupure de journal où est évoquée la vie admirable de votre père.

Je l'ai lu et relu avec beaucoup d'émotion.

Quand j'ai rejoint votre père au 332 ème régiment d'infanterie au printemps de 1917, je n'avais pas encore 20 ans : il en avait alors un peu plus de 30

Son expérience de la terrible vie du front m'a été d'un grand secours lorsqu'il a fallu se préparer et prendre part à l'offensive du 20 août 1917, au bois des Caurières en avant de Verdun, où nos camarades ont été tués par centaines.

Quand, à quelques temps de là, au repos à l'arrière, nous nous sommes découverts une affinité pour la musique, de bons camarades que nous étions, nous sommes devenus inséparables.

A la première permission, nous avons, chacun de notre côté, ramené notre violon.

A partir de là, votre père n'a laissé échapper aucune occasion de me faire partager sa passion de la musique... une passion qui nous a fait oublier plus d'une fois les grandes misères de la guerre.

Pierre Laffite, soyez en assurée, restera présent dans mes souvenirs jusqu'à la fin de ma vie.

Aurais-je un jour la joie de faire, avec mes petits enfants, le pélerinage du front de 14/18 et de passer par Poix?... Je le souhaite de tout coeur.

Ma femme se joint à moi pour vous prier de partager avec votre mère et tous les votres de bien sincères et bien amicales pensées.

Claude Mignaval

La musique dit-on adoucit les moeurs. Elle a permis à deux soldats de résister malgré les privations, la peur, l'isolement; leur a donné le courage de retourner après chaque permission dans le fracas des bombes, le sifflement des balles affronter leur destin.


Pierre Laffite et Claude Mignaval ont été démobilisés en 1919. Ils ne se sont jamais revus à cause du coût que le voyage aurait entraîné. Toutefois aucun d'eux n'aurait omis d'écrire à l'autre chaque année pendant près de soixante ans. Leur amitié cimentée par le souvenir de tous leurs copains tombés au front était indestructible.

La lettre de Claude MIGNAVAL est un hommage à son ami mais aussi à tous ceux qui ne sont pas rentrés.

Mon grand-père, Pierre, Félix LAFFITE, né le 08 mai 1886 à AMIENS (Somme), est arrivé à POIX à l'âge de 8 ans. Mobilisé le 04 août 1914, il a traversé les années de guerre échappant à la mitraille mais eut les poumons gazés. Les crises d'étouffement étaient particulièrement impressionnantes et angoissantes. Il est décédé d'un cancer le 21 octobre 1978, dans son lit Avenue du général Leclerc. Il était Doyen en âge des Poyais depuis quelques années. Il repose tout à côté du cimetière anglais dans la première allée à gauche de notre cimetière.

Son goût pour la musique ne l'a jamais quitté. Son médecin, le docteur AUBRIOT se servait d'ailleurs du violon comme du plus puissant des médicaments. Il venait en visite avec son instrument et lui disait : "Alors Pépère, un coup de violon ?". La guérison était bien souvent des plus rapide et nous assistions alors, privilégiés, à un concert privé.